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Un monde en images

Jouer… et aussi ? 

Le temps du jeu de l’oie commence avec celui des alphabets. Au XIXe siècle, les uns et les autres partagent la préoccupation d’être à la fois amusants et instructifs, rassemblant autour d’un thème un ensemble d’images et de contenus didactiques élémentaires.
Avec les jeux de l’oie des fleurs et des animaux, il s’agit d’adapter l’histoire naturelle à un public enfantin, sur le modèle du Petit Buffon des enfants qui connaît d’innombrables éditions entre les années 1810 et 1870. En jouant au Jeu instructif d’histoire naturelle des animaux produit par le marchand d’estampes parisien Basset, vers 1815, les enfants pénètrent dans une végétation peuplée d’animaux exotiques. Comme dans les abécédaires de la même époque, léopards, caïmans, girafes et autres bêtes des pays chauds l’emportent largement sur les animaux des pays froids et sur ceux des contrées familières aux enfants, sanglier, écureuil ou renard. Les singes occupent une place singulière : le jeu leur réserve pas moins de six cases, fidèle à Buffon qui leur avait consacré tout un volume de son Histoire naturelle. Les oies sont remplacées par la population des volatiles, exotiques ou plus familiers.
Comme dans les abécédaires, mais dans un espace plus contraint, le jeu délivre des éléments de savoir. Les animaux y sont décrits par leur place dans le monde naturel (le paresseux est un quadrupède et le vautour un oiseau de proie), par leur milieu naturel (le crocodile vit dans les fleuves d’Afrique), par un trait de comportement ou une performance propre à l’espèce (la cruauté de la hyène, les bras extraordinairement longs du gibbon).
L’illustration puise à des répertoires variés. On trouve encore trace de l’iconographie merveilleuse et populaire des bestiaires de la Renaissance, comme le rhinocéros dont la carapace en plusieurs morceaux finement texturés remonte directement à Dürer. Mais c’est l’apport visuel de l’histoire naturelle du XVIIIe siècle qui domine le jeu. D’abord et avant tout l’Histoire naturelle de Buffon, d’où sont tirées de nombreuses images comme celle, classique, du jocko ou orang-outang, qui questionne la frontière entre les grands singes et l’homme ; mais aussi d’autres travaux comme celui de la naturaliste et dessinatrice Maria Sibylla Merian (1647-1717), dont l’opossum portant ses petits sur son dos est reprise au XVIIIe siècle par de nombreux auteurs. Les récits des voyageurs aux terres lointaines fournissent d’autres images, comme celui de dom Pernety aux îles Malouines, en 1763, qui contient l’image du lion de mer à l’étrange tête aplatie. Dans ces deux illustrations, on note que le graveur du Jeu instructif a tendance à compléter les décors végétaux en privilégiant les arbres hauts et combien il accentue, par maladresse peut-être, l’humanisation des faciès animaux, particulièrement flagrante dans la représentation du paresseux tirée de Buffon.

Dans cet état de nature, les scènes violentes de combats et de dévoration alternent avec les évocations tranquilles de la tendresse maternelle, comme celle de la lionne jouant avec ses petits. L’homme n’en est pas absent : il apparaît dans des scènes de chasse ou sur ses montures exotiques, dromadaire, chameau ou éléphant. Au fil des cases, le jeu de l’histoire naturelle fait de l’enfant un observateur de l’Homme domestiquant la nature et défiant la diversité des climats, du Lapon menant son renne attelé, au lama conduit par un Indien du Pérou.
Les règles jouent des dangers du monde animal. La loutre guette le joueur mené du pont à la case 12. On passe deux tours à essayer d’attraper l’écureuil de la case 19. Le vampire de la Guyane endort le malheureux joueur qui tombe sur la case 31, tandis que celui qui arrive sur la case 52 est pris par les glaces où vit l’ours blanc. C’est le terrible tigre qui, de la case 58, renvoie le joueur à la case départ. Comme en contrepoint de ces dangers, le jeu offre trois histoires morales qui se font écho d’un bout à l’autre du plateau. Dans les angles, l’histoire du lion soigné par Androclès, qui refuse ensuite de le dévorer dans l’arène où il est condamné à mort ; au centre, celle du lion échappé de la ménagerie de Florence, qui épargne l’enfant d’une mère en pleurs ; à la case 52, prise dans la spirale du jeu, celle du chien de Constantinople sauvant des flammes l’enfant de son maître. Autant d’animaux bien connus des enfants : leur histoire appartient aux recueils de Morale enseignée par l’exemple dont les éditions, multipliées depuis les premières années du XIXe siècle, servent alors de premier livre de lecture.
E. C .