Lorsque le jeu de l’oie se répand au XVIIe siècle, il faut imaginer que l’oie fait partie de l’environnement quotidien, au même titre que d’autres animaux d’élevage. Il existe dans le folklore festif européen un jeu qui se jouait avec une oie réelle : le jeu de la décapitation de l’oie. Attesté par exemple en Auvergne, en Bretagne, au Pays Basque ou en Wallonie, ce jeu connaissait diverses variantes. Il s’agissait en principe de couper la tête d’une oie pendue par les pattes, à demi enterrée dans le sol, ou bien placée dans un panier, à l’aide d’un bâton ou d’un sabre, voire à mains nues. Parfois, l’oie était suspendue à une corde tendue entre deux perches, et elle devait être décapitée par des hommes lancés à cheval. Ce type de jeu, en apparence bien barbare et cruel, doit être replacé dans son contexte si on veut en comprendre le sens. D’abord, il s’apparente à d’autres jeux d’adresse communs lors des fêtes populaires annuelles et attestés depuis le Moyen Âge, tels que le « tir au papegai » ou le « tir à l’arc à la perche verticale », dans lesquels rivalisaient traditionnellement les compagnies d’archers pour élire localement un « roi de l’oiseau » qui assurait des prérogatives de chef de la jeunesse ou de chef de la milice municipale pour l’année à venir. Ensuite, des enquêtes ethnographiques contemporaines concernant des jeux comparables en Italie, permettent de comprendre qu’il existe une relation entre la décapitation rituelle des animaux à la faucille et le symbolisme des moissons. Dans ce contexte, celui qui parvenait à décapiter une oie, un coq, ou un autre animal domestique dans le contexte du jeu rituel, s’assurait un rôle de chef d’équipe des moissonneurs car il avait prouvé son habileté au maniement de la faucille. Enfin, il faut considérer que dans le monde traditionnel le fait de tuer des animaux domestiques était habituel, et que dans tous les cas ces animaux étaient ensuite mangés en commun lors de grands repas festifs. Sans qu’il y ait de lien avéré entre le jeu folklorique de la décapitation de l’oie et le jeu de l’oie moderne, on comprend ici que l’oie au XVIIe siècle était synonyme d’abondance et qu’elle constituait une récompense festive de choix pour les jeunes hommes les plus habiles de leurs communautés villageoises. Il était donc certainement plaisant de la voir figurer sur les plateaux de jeu.
L. F.