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Un parcours de vie

Au fil des cases

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Image :  [2.3.1] Le jeu royal de l’oye, Paris, Didier Aubert, [entre 1735 et 1756 ?], taille d’épargne sur bois, coloriage au pochoir (détail)

Malgré son origine antique revendiquée et ses parallèles folkloriques attestés dans les fêtes villageoises traditionnelles, le jeu de l’oie moderne se présente surtout comme une construction métaphorique originale où affleure la longue durée des représentations sociales occidentales, puisant à un réservoir de motifs séculaires. Matériellement présents sur le plateau du jeu, oies, ponts, puits, labyrinthes, prisons et auberges symbolisent un parcours de vie qui, au long d’un parcours de 63 cases pavé de nombreux aléas, amènent le joueur jusqu’au jardin des délices, le paradis figuré dans la case ultime.
L’oie, d’abord, est intéressante en elle-même et présente à plusieurs titres dans le jeu. Comme « oye » symbolisant l’écoute et l’entendement, elle se retrouve dans la forme spiralée du jeu qui rappelle la forme de l’oreille humaine. Elle est aussi figurée sur certaines cases du jeu qui permettent au joueur de doubler son score. Ainsi, le fait de tomber sur une case marquée d’une oie, c’est-à-dire symboliquement de se faire révéler quelque secret à l’oreille, permet d’avancer plus vite sur le parcours du jeu qui représente la vie. Enfin, l’oie est un animal psychopompe, dont le vol spiralé est connu pour mener le shaman ou le devin de la terre vers le ciel.
Le pont, bien sûr, rejoint la symbolique du passage déjà présente dans le parcours général du jeu. Il y a là une forme de mise en abyme, dans la mesure où la case marquée d’un pont reproduit en petit ce que le jeu représente en grand : le fait de passer d’une rive à l’autre. Il existe d’innombrables mythes concernant les ponts, qui symbolisent la possibilité d’une transition et représentent un état intermédiaire, établissant une division mais aussi une conjonction entre deux rives.
Le puits n’est pas moins ambigu que le pont. Simplement, au lieu d’opérer une médiation entre deux rives ou régions représentant deux points cardinaux, il relie le haut et le bas. Si, comme on le dit, « la vérité est au fond du puits », dans l’ordre du jeu cela n’avantage pas le joueur qui doit y passer son tour dans la méditation et le silence, attendant qu’un autre joueur l’en libère.
Le labyrinthe, présent sous la forme d’un labyrinthe « unicursal » à la mode grecque dans le plan même du jeu, est aussi présent à la case 42. Dans de nombreuses éditions du jeu, le labyrinthe est représenté sous la forme d’une tour de Babel, ce qui permet de relier métaphoriquement le jeu de « l’oye » à la langue, à la parole. Par ailleurs, comme pour le pont et le puits, il y a ici correspondance entre le macrocosme du jeu et le microcosme des différentes cases qui représentent en petit le principe même du parcours du jeu.

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Image : [2.3.2] Le jeu royal de l’oye, Paris, Didier Aubert, [entre 1735 et 1756 ?], taille d’épargne sur bois, coloriage au pochoir.
Le graveur de ce jeu parisien du XVIIIe siècle a représenté le labyrinthe sous une forme plus naturelle et plus erratique. 

Le graveur de ce jeu parisien du XVIIIe siècle a représenté le labyrinthe sous une forme plus naturelle et plus erratique.

La prison et l’auberge, pour être correctement interprétées, doivent être rapportées à leurs significations historiques à l’époque où le jeu de l’oie a été inventé. La prison est alors une mesure préventive en attente d’un jugement ou d’un châtiment. Elle ne constitue pas une peine à proprement parler. L’auberge, quant à elle, est souvent appelée « hôtellerie » et pourrait renvoyer à un hôpital, plutôt qu’à un hôtel au sens que nous lui donnons aujourd’hui. Dans les deux cas il y a une idée de marge, de mise à l’écart dans l’attente d’une peine ou pour des raisons sanitaires ou sociales.

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Image :  [2.3.3] Le jeu royal de l’oye, Paris, Didier Aubert, [entre 1735 et 1756 ?], taille d’épargne sur bois, coloriage au pochoir (détail de l’auberge et de la prison)

Ainsi, les différents éléments du jeu attestent d’une conception de l’existence bien spécifique, qui laisse de la place aux ambiguïtés, aux paradoxes et à la marginalité, et qui tient compte des aléas et des retournements de situation inhérents à tout parcours de vie. La fin du jeu elle-même est hasardeuse, réglée par un jet de dés qui doit arriver à la somme exacte permettant de franchir sans heurts la porte du paradis. Comme la vie elle-même, le passage vers l’au-delà n’est pas facile pour tous les joueurs.

L. F.