Naître et grandir

Une histoire de famille

Au Yémen, il n’est pas rare que les membres d’une même famille vivent sous le même toit, rassemblant ainsi différentes générations mais réservant à chaque couple un espace privé plus ou moins grand (chambre, étage…). A leur naissance, les enfants sont donc immédiatement très entourés.

© Fonds C. Fayein, Vers Bayda, 1971.


Claudie Fayein écrit dans les années 1950 :
« Au Yémen, l’état de grossesse peut durer des années, car le fœtus a la curieuse propriété de "s’endormir" dans le ventre de sa mère, pendant de longues périodes parfois. Cette croyance, qui fait honneur à l’astuce de nos sœurs d’Islam, est répandue dans tout l’Orient musulman. Les Arabes sont grands voyageurs, et le Coran, pourtant peu favorable aux femmes, préserve ainsi la paix du foyer quand le mari, au retour, trouve sa famille augmentée d’une unité inattendue. Cependant, pour limiter les abus, un récent décret de l’Université du Caire a fixé la durée maximum de la grossesse à deux ans. »

Dans les représentations occidentales classiques, les tribus sont souvent associées au milieu désertique et à un mode de vie nomade ou semi-nomade. Il n’en est rien au Yémen : les tribus nomades sont peu nombreuses. La plupart des ensembles tribaux, dont la taille varie de 100 à un demi-million de membres, regroupent des agriculteurs sédentaires attachés depuis de nombreux siècles à leurs territoires. Les liens sociaux de la tribu sont fondés sur des liens de sang (ansāb) réels ou fictifs, une référence à un ancêtre commun et à un territoire. Les liens de sang se perpétuent grâce à un système d’alliances matrimoniales (mariages intra-tribaux) empêchant le démembrement de la terre et son transfert à une autre tribu. Les mariages entre tribus, plus rares, scellent des alliances intertribales qui forment des confédérations. À l’intérieur d’une confédération, chaque tribu est composée de plusieurs clans. Chaque clan est représenté par un shaykh qui est avant tout le garant de l’ordre social et un médiateur en cas de conflit. Enfin, la plus petite unité de cette arborescence tribale est la maisonnée ou maison (bayt). Ainsi, la maison représente un espace d’organisation, de pouvoir et d’identification. Si l’ancêtre fondateur d’une tribu est systématiquement de sexe masculin, une maisonnée ou lignage peut porter le nom d’une femme. Le terme de bayt (maison) désigne également la famille dans le sens restreint de foyer familial incluant les grands-parents, parents et enfants.

AMN_C_01_E_06_36

Le shaykh Abdallah al-Ahmar, chef de la confédération des Hâshid, et trois de ses enfants, dans les années 1960. Photo : Fonds A. Nu‘mân © Anonyme, s. l. n. d.

© Fonds F. Al-Baydani-Alzawiya, Sanaa, circa 2010.


Si la génération actuelle ne croit plus en ces temps longs de grossesse, cette idée reste encore ancrée chez certains anciens.

En revanche, jusqu’à aujourd’hui, l’accouchement a souvent lieu dans la maison de la famille de la femme ou, s’il se déroule chez elle, c’est avec au moins le soutien de sa mère. Passer du statut de femme à celui de mère s’illustre dans l’usage des prénoms. Au moment de la naissance de l’aîné, elles seront appelées : « mère de » suivi du prénom donné à l’enfant. Cette pratique peut parfois s’appliquer s’il s’agit d’une fille, mais en général elle concerne les garçons. La même coutume existe également pour les pères même si elle est moins répandue que pour les mères.
Claudie Fayein mentionne qu’ à Sanaa « garçons et filles sont fêtés de même ». Il n’en va pas de même dans d’autres régions.
Après avoir aidé à la mise au monde d’un enfant, elle écrit aussi : 
« Je mets dans les bras d’un homme déjà vieux le premier fils qui vient de lui naître. Il ferme les yeux et prononce à haute voix son action de grâces. Les sentiments d’un père sont les mêmes partout en semblables circonstances, mais quel naturel dans le lyrisme des Arabes, quel merveilleux talent d’expression ! ».

Fonds A. M. Nu’mân © Studio al-Jazira, Khaled Al-Saqqâf, s. l. n. d.


Souvent, une vache ou un taureau est égorgé lors de la naissance du premier enfant (garçon ou fille), de celle, longuement attendue, d’un garçon (dans ce cas c’est plus rarement celle d’une fille), ou encore lorsque les familles appartiennent à un rang social élevé.
« L’amour paternel est ici envahissant, exigeant et ardent à un point dont nous n’avons pas idée. Il dépouille la mère d’une partie des prérogatives qu’elle possède en Occident. Un homme promène avec lui, des journées entières, un enfant qui marche à peine ; personne ne le trouvera ridicule, au contraire ! Peut-être est-il plus fier d’un fils, mais il aime sa fille tout autant. Si un enfant est malade, ce n’est pas la mère qui le soigne, mais le père. »


Maggy Grabundzija


Références

François Burgat, « Le règlement des conflits tribaux au Yémen », Égypte/Monde arabe, Troisième série, 1 | 2005, mis en ligne le 08/07/2008, consulté le 05/10/ 2021. DOI : https://doi.org/10.4000/ema.1042
Claudie Fayein, Une française médecin au Yémen, Paris, Centre français de recherche de la péninsule Arabique, René Julliard, 1955.

© MMSH - IREMAM, 2021 - Une réalisation de la Cité numérique de la Méditerranée