Jouer !


Les cinquante-six jeux d’enfants répertoriés par Ârif al-Hayqî au Yémen, au début des années 2000, se divisent en trente-quatre jeux de garçons, treize de filles et neuf mixtes. À partir de la fin des années 1990, la non mixité dès l’école primaire, même au moment des récréations, a certainement accentué la séparation des genres en la rendant plus précoce dans les sphères éducative et ludique : corde à sauter, rondes chantées, osselets, jeu du mouchoir et marelle pour les filles ; billes, cache-cache, cerceau, toupie, épée, voiture, voleur, échasse, lance-pierre pour les garçons. D’autres moins nombreux réunissent les deux sexes : le jeu « Marié et mariée », ou les jeux de plateaux parfois dessinés à même le sol comme la mérelle assise (ou al-Ṭanj, sorte de jeu du morpion) ou le kayram (carrom) souvent appelé « billard indien ». Ce jeu de table est très pratiqué en Asie (Inde, Birmanie…), mais son origine exacte est méconnue.

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© Fonds F. Al-Baydani-Alzawiya, Taez, 2004.

© Fonds S. Ory, Jeu de cerceau, Taez et sa région (Jabal Saber), 1978.


Si la division genrée des pratiques ludiques semble évidente et catégorique, les archives filmiques de Fatima al-Baydani et certains articles de presse rebattent les cartes et relativisent la radicalité d’une telle division. Le célèbre jeu du foulard ou du mouchoir (aussi appelé en France le jeu du facteur) classé comme un jeu féminin est en réalité joué tant par les garçons que par les filles dans des versions plus ou moins différentes. Il en est de même pour le jeu des osselets, jeu de dextérité pratiqué avec des petits cailloux, même s’il est souvent l’apanage des petites filles.

© Fonds F. Al-Baydani-Alzawi, Jeu d'osselets (enfants juifs yéménites), Rayda, 2004.

Dans cette liste de cinquante-six jeux, quelques-uns sont spécifiques au Yémen et certains d’entre eux font référence à des événements historiques. Ainsi en est-il du jeu féminin appelé "Abdallah Al-Sallal", du nom du premier président de la République arabe du Yémen après la révolution de 1962 qui a mis fin au régime de l’imamat. Il est joué par deux filles qui se tiennent les mains et sautent à droite et à gauche de manière opposée l’une à l’autre en chantant : Abdallah Sallal est allé prier avec ses souliers noirs et son châle marron, lève-toi donc fille de l’imam, tu n’as plus ni servantes ni secrétaire.
D’autres jeux traduisent directement la particularité géographique des plateaux et montagnes yéménites comme le jeu al-khilâf, un jeu où les garçons font une course en sautant d’une terrasse agricole à une autre. Les particularités végétales, minérales et agricoles et culturales du Yémen configurent ainsi la nature et la pratique de jeux enfantins qui se sont transformés sous l’influence des changements survenus dans le monde rural.
Dans son précieux témoignage sur les jeux d’enfants à Sanaa au milieu du XXe siècle, l’historien Husayn al-‘Amrî notait avec regret, au début des années 1980, que plusieurs de ces jeux avaient été oubliés par « la génération de la Révolution [celle de 1962] » qui leur préférait les jeux de cartes, le football ou le trictrac.

© Fonds S. Ory, Match de football, Shibâm-Hadramaout, s. d.

Dans les villes également, la palette des jeux s’est élargie avec l’offre de consommation qui a rendu en grande partie caduc le recours au recyclage d’objets usagés que la modernisation du pays avait multipliés.
Avec la fragmentation et l’isolement du pays liés à la guerre, les enfants yéménites se sont remis à puiser dans le répertoire des jeux traditionnels même si les jeux vidéo, comme partout ailleurs, ont envahi la sphère ludique. Peu importe le jeu, les enfants continuent de jouer pour s’évader, pour oublier, un peu, les tourments du présent.

© Fonds M. Gast, Balançoire, Thula, 1985.

Ils ont d’ailleurs inventé récemment un nouveau jeu qui consiste à crier « Un, deux, trois, bombardement aérien », et à se jeter au sol : c’est ce qu’a rapporté, en novembre 2015, une responsable de l’aide d’urgence de Médecins sans frontières après une visite de la ville de Taez dévastée par les combats. Dans une société où le port d’armes était déjà généralisé avant la guerre, et dans ce contexte où l’âge de recrutement dans les différents groupes armés est de plus en plus bas, jouer avec des pistolets et des mitraillettes en plastique est devenu un passe-temps encore plus répandu parmi les garçons.

Franck Mermier

Vidéos d'archives de jeux d'enfants (Yémen)

Cette vidéo est le fruit d'un montage de 4 vidéos d'archives de jeux d'enfants au Yémen accompagnés de chansons traditionnelles enregistrées par l'association Meel Al-Daheb.
Images : © Fonds F. Al-Baydani-Alzawi.
Musique : Chansons traditionnelles enregistrées par l'association Meel al-Dhahab.
Montage : Axelle Schatz.
Vidéos source : https://www.nakala.fr/11280/5cadb347 / https://www.nakala.fr/11280/e8f6f76b / https://www.nakala.fr/11280/3cf08672 / https://www.nakala.fr/11280/073f9b7c 



Références

Al-‘Amrî Husayn, « Children’s games in San’â’ », in Robert Serjeant et Ronald Lewcock (dir.), San’â’. An Arabian Islamic City, Londres, World of Islam Festival Trust, 1983, pp. 525-528.
Kleijer Karline, « Yemen: ‘The children have a game called airstrike in which they fall to the ground’ », The Guardian, 2015 november 9th.
Isabelle Bardiès-Fronty, « Histoire et origines des jeux », Centre ludique de Boulogne-Billancourt.
« Les jeux yéménites” / ألعاب يمنية - قنبوس

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