Se vêtir, se parer

Vêtements, parures, coiffures, coiffes, tatouages...


Au Yémen, vêtements, parures, tatouages (temporaires ou permanents), coiffures, couvre-chefs sont les témoins et les marques d’une histoire spécifique de chaque région du pays, d’une appartenance à des castes ou des groupes sociaux, d’une étape de la vie ou encore d’une religion. Encore aujourd’hui, certains Yéménites rappellent la place historiquement importante qu’occupait leur pays dans la production de vêtements.

© Fonds S. Ory, Souk al-Dhabbâb (Taez), 1978.

Les parures au Yémen sont aussi variées que les traditions, les reliefs naturels et les appartenances identitaires du pays. Ils se déclinent selon une amplitude large allant d’une couverture quasi-totale du corps au plus simple apparat. Le dévoilement de certaines parties du corps des femmes était récemment encore de coutume dans certaines régions. Dans la Tihama, les femmes offraient à voir la partie supérieure de leur corps (et leur groupe social était considéré comme inférieur par les sociétés des montagnes). Dans la Hujjariyya, les paysannes - groupe très respecté - n’étaient couvertes que d’un rectangle de tissu, ouvert en son centre pour laisser passer la tête et laissant paraitre les seins par les côtés. La partie inférieure était couverte d’un pantalon. Une telle pratique n’a plus cours aujourd’hui.
Si, en général, les vêtements des hommes sont distincts de ceux des femmes, il existe tout de même des habits considérés comme masculins et qui sont portés par l’autre sexe. Encore dans les années 1970, dans la région Sud du Hujjariyya, la futa - toile rectangulaire d’origine indienne mais fabriquée dans différentes parties du Yémen -, savamment serrée autour de la taille, était portée par certaines femmes comme par les hommes. Aujourd’hui, elle est essentiellement portée par les hommes des régions du sud.

© Fonds S. Ory, Futa, Souk al-Dhabbâb (Taez), 1978.


Jusqu’aux années 1950, les vêtements des femmes étaient de couleurs sombres, assortis de robes et de bas de pantalons richement brodés et colorés.

© Fonds C. Fayein, s. l. n. d.

Les femmes possédaient alors rarement plus d’une robe ou deux, et certains racontent encore aujourd’hui comment, au temps de l’imamat (jusqu’en 1962), les femmes se retrouvaient momentanément le haut du corps nu lorsqu’elles lavaient et faisaient sécher leur unique tenue. 
Dans les années 1930, les vêtements sont devenus moins rares. De nouveaux tissus plus colorés ont fait leur apparition, et l’introduction sur le marché des machines à coudre a permis petit à petit une fabrication plus rapide des vêtements dans différentes régions.
Au quotidien, les femmes offraient à voir des parures ou des vêtements souvent plus travaillés que chez les hommes. Lorsque ces embellissements étaient vus de tous, ils pouvaient marquer les étapes de la vie. 

« L’an dernier, des amies m’ont dit avoir vu, à Sanaa, dans une réunion, une petite fille d’une douzaine d’années déjà vêtue comme une femme mariée, bandeau de tête et gaze nouée sous le menton au lieu du bonnet des fillettes. S’habiller en "dame" est le plus pressé, même sans avoir encore de vrai mari… » (Fayein, années 1950)

Pour rendre publique leur puberté ou leur statut marital, certaines jeunes filles des villes ou des hauts plateaux se voilaient les cheveux, voire le visage, tandis que d’autres, comme certaines bédouines de la Tihama et de l’Hadramaout, étaient non voilées et se tatouaient. 

« Comme le voile, qu’une fois pris on n’enlève jamais, le tatouage est une marque inaltérable du changement d’état. » (Hanne Schöniq, observation des années 1990).

© Fonds C. Fayein, Sud Yémen, circa 1970.

Enfin dans la la région d’al-Mahra, les femmes mariées portent l’anneau nasal.

© Fonds C. Fayein, s. l., 1969.


Quant aux hommes des hauts plateaux et de culture tribale, ils portent, pour affirmer leur dignité et leur virilité, la janbiya, poignard recourbé porté au niveau de la hanche droite pour les descendants du Prophète, et au milieu du ventre pour les autres.

© Fonds S. Ory, Danwat, s.d.


Les bijoux ont une valeur significative, notamment pour les femmes. Il s’agit d’un trésor qu’elles ont reçu en dot au moment du mariage et qu’elles ont toute liberté d’utiliser, voire de vendre selon les besoins. Les bijoux sont de tous types : colliers, boucles d’oreilles, bagues ou bracelets. Ces derniers ornent le poignet ou le milieu du bras, et parfois ils sont mis pour y fixer une manche et dégager le bras, facilitant ainsi les gestes au travail. Portés à la cheville, leur bruit émis à chaque pas a pour fonction d’avertir l’entourage de la venue de celle qui les porte, ce qui est notamment important durant la nuit lorsque les femmes vont chercher de l’eau ou reviennent de mariages qui se fêtent dans certaines régions uniquement durant la nuit.

Les enfants sont aussi habillés avec soin.

« Dès que l’enfant est né, on le farde, et ses yeux semblent immenses dans sa petite figure. On l’habille d’un caleçon, d’un bonnet orné de feuilles de basilic, et on le ficelle dans ses langes avec un long cordon. » (Fayein, années 1950)

Dans les régions des hautes montagnes, on couvre la tête des enfants d’un petit capuchon (gargûsh). Parfois, les femmes le portent aussi. À Sanaa, jusque dans les années 1960, les filles arboraient ce couvre-chef jusqu’à leur mariage, et les garçons portaient un turban pour montrer leur aptitude à faire le ramadan et à se marier.

Très tôt, parfois, les jeunes filles sont habillées et maquillées comme les grandes.
« Elles sont éblouissantes : des corps minces, des visages réguliers, très fardés, bras nus et cheveux dénoués ; de nombreux bijoux ornent leurs robes de soieries multicolores. Le plus surprenant, c’est de voir de toutes petites filles, dix ans à peine, aussi coquettes que leurs mères, lèvre rougie et paupières bleuies. Cela leur donne un charme équivoque mais certain. » (Fayein, années 1950)

© Fonds C. Fayein, Bakil, 1976.

En dehors de la sphère de l’intime, les cheveux des femmes sont rarement visibles, et aujourd’hui, les jeunes filles portent précocement le voile noir islamique, parfois cintré « à la française », et souvent assez court pour laisser deviner un jean et des baskets. Dans certaines régions encore, une partie de la tête est rasée mais jamais entièrement. Dans la Hujjariyya, les cheveux de devant sont gardés de telle sorte qu’ils dessinent une auréole autour du visage – souvent colorés au henné – et le reste des cheveux est coupé régulièrement. Ailleurs, comme dans la région d’al-Mahra, c’est l’inverse qui est pratiqué. 
Les chevelures sont, pour les hommes comme pour les femmes, des marques d’appartenance régionale, sociale ou religieuse. Les hommes juifs, par exemple, se distinguaient par leurs papillotes, le reste de la tête pouvant être partiellement couvert d’une calotte. Dans la société tribale du nord, les garçons réservent aujourd’hui le port de la robe blanche traditionnelle, du couteau (janbiya) et de la veste de costume au vendredi (jour de prière) ou aux jours de fête.
Plus récemment, la coiffure est devenue également un indicateur d’opinions politiques. Lors d’un des événements organisés par des révolutionnaires sur la « Place du Changement », à Sanaa, le 16 juin 2011, se côtoyaient des hommes en barbe et cheveux longs (coutume bédouine), des hommes en barbes allongées ou taillées avec des cheveux courts (souvent signe d’appartenance, d’affiliation ou de sympathie au parti du Rassemblement yéménite pour la réforme, al-Islâh), ou d’autres encore arborant leurs moustaches sans barbe et les cheveux raccourcis (image commune de l’homme des tribus). Il n’y avait aucun homme sans moustache ou qui soit rasé du haut des lèvres affichant une barbe prolixe et aux cheveux élagués (apparat manifeste des militants salafistes voire wahhabites).


Maggy Grabundzija


Références 
Claudie Fayein et Michel Tuchscherer, Le Yémen et les Yéménites tels que les a vus, décrits et aimés Claudie Fayein, Sanaa, CEFAS, 2012, p. 64, 90 et 200-201.
Hanne Shönig, « Le corps et les rites de passage chez les femmes du Yémen », REMMM,  Le corps et le sacré en Orient musulman, n°113-114, 2006.
Maggy Grabundzija, Le Yémen morceaux choisis d’une révolution, mars 2011-février 2012, Paris, L’Harmattan, 2015.

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